REPHOTOGRAPHIE ET HISTOIRE VISUELLE: DE QUÉBEC À GOBLIN
Received: 2024-03-08 Revised: 2024-03-21 ; Accepted: 2024-04-20
Published Online: 2024-08-22
본문
RÉSUMÉ
Cet article critique centré sur le processus de rephotographie montre les usages possibles de l’histoire visuelle pour les Études canadiennes, à partir d’un livre récent montrant et comparant des photographies d’un même lieu, à deux époques différentes et séparées de plusieurs décennies. Toutes les photos sélectionnées ont été prises dans la ville de Québec, et particulièrement dans le Vieux-Québec, entre autres sur la rue même où ont été filmées quelques séquences de la fameuse télésérie Goblin.
This Review Essay focuses on the uses of rephotography and visual history as depicted in a recent book in French about Québec City. Rephotography is a visual process which compares two photographs of the same place pictured at two different times, using the same angle and the same format; it enables the viewer to oppose two moments of one single site separated by decades. Among countless images included in the illustrated book Québec: d'hier à aujourd'hui (available only in French) are a few rare, vintage images of the famous “Rue du Petit-Champlain” in 1890, as portrayed (much later) in some scenes from the Korean Series Goblin, with the magical “Red Door”, located in the middle of a touristic street, in the lower part of the old city (“Rue du Petit-Champlain”).
L’auteur Jean-Simon Gagné et le photographe Patrice Laroche ont produit un livre richement illustré, basé sur le procédé de la rephotographie, intitulé Québec : d'hier à aujourd'hui, paru chez l’éditeur québécois Septentrion, spécialisé dans les livres sur l’histoire du Québec (1). Pour la définir brièvement, la rephotographie est un exercice d’histoire visuelle permettant de juxtaposer deux photographies d’un même lieu prises à deux moments différents, le plus souvent séparés de plusieurs décennies. Le cadrage, l’angle, le format, la saison sont exactement les mêmes; la composition et le contenu peuvent avoir changé considérablement, mais pas toujours. Au-delà du plaisir visuel causé par la surprise initiale, le but premier de la rephotographie est de mettre en évidence ces changements urbains; cet exercice nécessite un travail de grande précision de la part du photographe qui prend « la deuxième photo », beaucoup plus récente (ici prise par Patrice Laroche), car il doit déterminer et réajuster son nouveau cliché selon les mêmes caractéristiques que celui qui lui sert de modèle, afin de reproduire le cadrage exact. Dans le cas de la ville de Québec, celle-ci a beaucoup changé puisque son histoire couvre plusieurs siècles.
Le livre Québec: d'hier à aujourd'hui montre près d’une centaine de sites de la ville de Québec, et non du Québec tout entier ou de l’ensemble du Canada. Mais comme il s’agit de la ville la plus ancienne (et la plus belle) du Canada, il y a beaucoup à voir et à comparer. Les photographies les plus anciennes datent de 1890, et les plus récentes de 2020. Parmi une centaine de lieux photographiés, on peut reconnaître le fameux Pont de Québec, parachevé en 1917, et qui fut naguère considéré comme « le plus long pont au monde » (pp. 15-17). Plusieurs autres lieux patrimoniaux sont montrés sous différents angles : la Place Royale, la rue Saint-Jean, la rue Dorchester, la rue de la Couronne, et bien sûr l’hôtel le plus photographié au monde : le célèbre Château Frontenac, avant, pendant et après sa construction (pp. 121-125). Par ailleurs, plusieurs lieux naturels qui n’existent plus peuvent être révélés, ne serait-ce que pour en prouver l’existence : ainsi, le fameux méandre de la Rivière Saint-Charles, qui autrefois contournait le Parc Victoria, au Centre-ville de Québec, a été asséché en 1957; mais deux photographies aériennes permettent de voir ce même site en 1947 et en 2017, soit avec puis sans le méandre (pp. 58-59).
Les usages pédagogiques du livre de Jean-Simon Gagné et Patrice Laroche sont nombreux : si l’on s’intéresse aux dimensions sémiologiques, on pourra faire une analyse comparative de certaines de ces images pour étudier le mobilier urbain, les types de commerces, la langue d’affichage public (anglais ou français?). On constate en effet que l’affichage public est progressivement passé de l’anglais vers la refrancisation, dans une ville où la population a tours été majoritairement unilingue et Francophone, même au 19e siècle. De plus, toute une étude sociologique sur le contenu des enseignes publicitaires pourrait être amorcée à partir de ces images. On remarque par exemple que le Vieux-Québec était beaucoup plus résidentiel au début du 20e siècle; mais ces quartiers ouvriers se sont progressivement transformés et sont devenus plus touristiques, parfois trop. À travers ces photographies, c’est en fait tout un pan de la société québécoise que l’on peut observer et diagnostiquer. En outre, les chercheurs en géographie urbaine et en études visuelles pourront apprécier ce bel exemple de rephotographie et d’histoire comparée; ce même principe de rephotographie pourrait être repris pour d’autres villes du monde.
Indéniablement, Jean-Simon Gagné et Patrice Laroche ont réussi leur ouvrage car les images judicieusement choisies de Québec: d'hier à aujourd'hui sont magnifiques et éloquentes. Tout leur livre est un régal pour les yeux et un exercice pleinement réussi d’histoire visuelle et d’histoire urbaine du Vieux-Québec. Il n’est pas indispensable de pouvoir lire le français pour apprécier le contenu très imagé de ce livre éloquent. On le recommandera aux bibliothèques publiques, car les images choisies justifient à elles seules le prix d’acquisition de l’ouvrage. Difficile à trouver en librairie, on pourra commander sur le site Internet des Éditions du Septentrion, à Québec.